Délocaliser pour dépister et traiter les hépatites virales
Article d’origine : CHV // 
L’Organisation Mondiale de la Santé a fixé pour objectif l’élimination de l’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) pour 2030. L’élimination est définie comme une diminution de 90 % des nouvelles infections, associée à une réduction de la mortalité liée au VHC de 65 %.
Lors du dernier congrès de l’AASLD en novembre 2019 à Boston, quatre grandes associations spécialisées dans l’étude, la recherche et le traitement des maladies hépatiques ont annoncé une initiative mondiale d’appel de décentralisation du dépistage et du traitement du virus de l’hépatite C (VHC).
Ces quatre associations, L’Association européenne pour l’étude du foie (European Association for the Study of the Liver, EASL), l’Association américaine pour l’étude des maladies hépatiques (American Association for the Study of Liver Diseases, AASLD), l’Association de l’Asie-Pacifique pour l’étude du foie (Asian-Pacific Association for the Study of the Liver, APASL) et l’Association latino-américaine pour l’étude du foie (Asociación Latinoamericana para el Estudio del Hígado, ALEH) ont collaboré avec l’Initiative Clinton pour l’accès à la santé (Clinton Health Access Initiative, CHAI) afin de trouver des stratégies pour aboutir à l’élimination du VHC.
Ensemble, elles ont identifié quatre stratégies cliniques clés pouvant aider à arriver à ce but d’éradication du VHC : la simplification des algorithmes de diagnostic et de traitement, l’intégration du traitement du VHC dans le cadre des soins en médecine générale, la décentralisation des services liés au VHC au niveau des soins de proximité, et le partage des tâches entre la médecine générale et d’autres professionnels de santé.
Le document d’appel rappelle ce qui permet ces stratégies, à savoir l’efficacité du dépistage rapide des anticorps du VHC par les TROD et le test de confirmation de la charge virale, dont la réalisation peut s’effectuer au cours d’une seule visite clinique, ainsi que les antiviraux à action directe (AAD) pangénotypiques qui sont disponibles dans des combinaisons à dose fixe avec des taux d’efficacité supérieurs à 95 % et avec une bonne tolérance.
Global hepatology societies call for better HCV testing and access to treatment : Nov 2019. [désormais hors ligne…]
« Aller vers »
Largement développé en France par les associations dans les années 1980 avec l’épidémie de VIH/sida, afin d’atteindre les usagers de drogues les plus éloignés du système de soins, le travail de proximité délocalisé, du « aller vers », a fait la preuve de son efficacité dans différents contextes et auprès de différents publics. Dans le cadre de la réduction des risques, cette stratégie est efficace pour atteindre les usagers les plus précaires, n’ayant pas accès ou ne souhaitant pas aller vers les dispositifs existants, et permet de réduire les comportements à risque, liés à l’usage de drogue ou sexuels. Elle vise également à susciter la demande afin de faciliter l’accès aux circuits médico-sociaux existant, avec qui les publics fortement marginalisés n’ont pas ou peu de contact. En France, des actions « hors les murs » menées par des associations de lutte contre le sida et/ou les Hépatites virales (Aides, SOS hépatites, Gaïa, Médecins du monde…) se sont développées pour mener des actions de dépistage sur les sites de vie ou de passage des différents publics précaires et vulnérables (usagers de drogue, travailleur-euses du sexe, migrants, SDF…). Ces actions « hors les murs » sont largement recommandées depuis de nombreuses années par le Conseil national du sida et les hépatites virales et les différents rapports d’experts VIH et Hépatites virales. Dans cette stratégie du « aller vers », les Tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) du VIH, puis du VHC ainsi que les TROD du VHB en expérimentation, ont facilité le dépistage.
L’acceptabilité et la faisabilité des TROD est bonne. La rapidité avec laquelle est délivré le résultat améliore vraiment le nombre de résultats rendus et ces tests permettent de toucher des populations très exposées. Les TROD permettent d’offrir une nouvelle opportunité de dépistage (renouvelable) aux populations vulnérables les plus exposées qui ont peu accès aux dispositifs de dépistage classiques et/ou aux personnes ayant un capital veineux inexistant, comme certains usagers de drogues. La proposition de TROD VHC et VIH est déjà faite dans la plupart des centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) et de certains centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud).
L’élimination du virus de l’hépatite C en France à l’horizon 2025 est une des mesures phares du Plan priorité prévention 2018-2022. Le renforcement de l’accessibilité aux traitements de l’hépatite C s’articule avec l’intensification des actions de prévention et de dépistage.
En France, Les estimations disponibles indiquent que 120 000 personnes restent à traiter en France, dont plus de la moitié ne sont pas dépistées. Il est donc indispensable d’intensifier les politiques de dépistage, de les délocaliser.
Depuis mai 2019, La prescription de deux associations d’AAD pour le traitement de l’hépatite C chronique est ouverte à l’ensemble des médecins, et notamment aux médecins généralistes, comme prévu par le Plan priorité prévention et autorisée par arrêté ministériel. La prise en charge simplifiée doit pouvoir être réalisée au plus proche du lieu de vie du patient ou dans un lieu où le patient est déjà suivi. Elle s’adresse aux patients ayant une infection chronique par le VHC en l’absence de co-infection VHB et ou VIH, d’insuffisance rénale sévère, de comorbidité (consommation d’alcool à risque, diabète, obésité) mal contrôlée, de maladie hépatique sévère (cirrhose) et d’antécédent de traitement de l’hépatite C. Ces cas plus complexes doivent avoir une prise en charge spécialisée avec si nécessaire une concertation pluridisciplinaire.
Lors de ce congrès AASLD 2019 à Boston, quelques initiatives de dépistage et d’offre de soins décentralisés, en France ou ailleurs ont été présentés.
Le projet « PARCOURS » en Ile–de-France
Le projet « PARCOURS » est un projet financé par l’ARS Ile-de-France, dont le but était d’optimiser la cascade de soins VHC et l’accès aux antiviraux à action directe (AAD) des personnes vulnérables (UDI, migrants, détenus, HSH) en mettant en réseau des centres de soins primaires et des centres de référence. Ce projet (1) était prévu pour suivre 1000 personnes sur 3 ans, dans 3 des départements franciliens, 75, 93 et 94.
Les inclusions ont été faites dans un réseau de 50 centres de soins primaires (centres pour usagers de drogues-CAARUD, CSAPA-, migrants, personnes vulnérables/prisons/médecins généralistes impliqués dans les traitements de substitution) et 15 centres de référence.
La méthode associait une forte promotion du dépistage (classique ou TROD), un accès rapide au centre de référence (en moins d’une semaine) pour l’évaluation et le traitement, l’aide d’une assistante sociale (pour ouverture des droits et hébergement) et d’un médiateur en santé, et des séances d’éducation thérapeutique par des infirmières.
Les inclusions se sont terminées fin septembre 2018 et ont permis de prendre en charge 627 personnes. Parmi elles, 539 hommes (86 %), âgés en médiane de 45 ans et dont la sérologie positive était connue depuis plus de 6 mois dans 72 % des cas. Il existait une comorbidité psychiatrique dans 22 % des cas et une co-infection VIH dans 8 %. Les facteurs de risque de contamination étaient d’avoir ou avoir eu un usage de drogues pour 73% des cas ( dont 66% étaient sous TSO), d’être des migrants venant de zones de forte endémie pour 48%, et d’être sous main de justice (en prison) pour 17% des cas. L’évaluation de la fibrose par Fibroscan ou Fibrotest était disponible pour 402 des participants, 53% en F0-F1, 20% en F2, 12% en F3 et 15% en F4 (stade de la cirrhose).
La PCR du VHC (charge virale) a été documentée chez 541 participants (86,3 %) dont des PCR positives au VHC chez 463 participants. La décision de traitement a été prise pour 392 patients, en RCP spécialisées « patients vulnérables ». La réponse virologique évaluable (S12 ou S24) était disponible pour 247 patients.
Les résultats de la cascade de soins sont différents en fonction du lieu de prise en charge initiale, les moins bons étant ceux des prisons.
- Groupe 1 : dépistés à l’hôpital ou référés par des médecins généralistes ne participant pas à l’étude (n = 132) ;
- Groupe 2 : dépistés dans des structures de prise en charge d’usagers de drogues ou d’associations de patients (n = 363) ;
- Groupe 3 : dépistés en prison (n = 108) ;
- Groupe 4 : dépistés par des médecins généralistes impliqués dans TSO ou dans des centres de santé (n = 24).
Pour les patients ayant suivi l’ensemble du parcours de soins, le taux de guérison était de 95,5 %, donc semblable aux résultats des autres études de vraie vie.
Les facteurs associés au maintien dans la cascade de soins étaient surtout d’être bénéficiaire d’une aide médicale d’état ou d’une mutuelle complémentaire
Au total, environ la moitié des patients ont obtenu l’éradication du VHC en utilisant les ressources de ce parcours de soins. La possibilité actuelle (depuis mai 2019) d’un parcours de soins simplifié avec une disponibilité en officine de ville (effectif pour 5 associations d’AAD depuis mai 18) et une prescription par tout médecin (généraliste, médecin de CSAPA, depuis mai 2019) devrait il faut l’espérer améliorer les résultats.
L’étude limousine SCANVIR
L’étude SCANVIR (2) est une étude un jour donné mensuel dans les CSAPA du Limousin avec la participation d’un groupe multidisciplinaire de médecins spécialistes (hépatologues, infectiologues, addictologues), d’une infirmière pour le Fibroscan, d’une infirmière spécialisée en addictologie et de travailleurs sociaux.
Cette étude a inclus des usagers de drogue (UD) actifs ou anciens suivis, à qui est proposé de façon systématique, un dépistage par Fibroscan et TRODs VHC, VHB et VIH. Un parcours de soins et des informations accompagnaient également cette prise en charge (des informations sur les facteurs de risque, de prévention, vérification des vaccinations, une évaluation addictologique et sociale). La vaccination VHB était disponible sur les sites de l’étude.
De Mai 2017 à Mars 2019, 106 patients ont été dépistés au cours des 26 jours dédiés. La population comprenait en majorité des hommes jeunes (84 %, 38 ans).
Le taux d’acceptation du Fibroscan était de 100 %. En revanche, celui des TROD était plus faible : 62 % pour TROD VHC, 52 % pour TROD VHB et 51 % pour TROD VIH.
Le taux de dépistage de nouveaux patients VHC+ était élevé : 9 patients sur les 66 ayant accepté le TROD VHC (13,6%) et 27 patients ayant déjà une sérologie VHC + connue. Les taux de nouveaux tests positifs pour le VHB étaient de 2% et celui pour le VIH était de 4%.
Le taux d’acceptation du Fibroscan était de 100 % et la fibrose était répartie en majorité F0-F1 (83%), F2 (11%), F3 (2%) et F4 (4%).
Lorsque le TROD VHC était positif, une consultation spécialisée et une prise de sang si possible était proposées et si la sérologie VHC était confirmée, les patients étaient revus sur le site dans un délai d’une semaine pour commencer un traitement
Dépistage à Montpellier « hors les murs »
Cette étude relatait l’activité « hors les murs » à Montpellier organisée par une infirmière et un médecin (3) se déplaçant pour atteindre des patients difficiles à faire entrer dans le parcours de soin, dans les centres de prise en charge des addictions, des associations caritatives et des SDF.
L’infirmière et le médecin proposaient un dépistage par TROD VHC, buvard et test sanguin classique si possible, une évaluation de la maladie hépatique par Fibroscan mobile et prise de sang si possible. Un questionnaire anonyme était proposé pour évaluer la consommation d’alcool ou de drogue, et la situation sociale.
Au bout d’un an d’activité, 91 patients avec PCR positive du VHC ont été pris en charge. Il s’agissait d’hommes à 76 %, âgés en médiane de 39 ans. Deux patients étaient co- infectés par le VIH et un par le VHB. Ils étaient affiliés à la sécurité sociale dans 88 % des cas. Ils étaient sans revenus dans 30 % des cas.
La fibrose évaluée par Fibroscan était de F0-F1 dans 82% des cas, de F2 pour 7 %, de F3 pour 7 % et de F4 pour 4 % des cas.
La distribution des addictions était que 35% étaient des UD actifs, 32% sous TSO, 55% d’alcool, 52% du cannabis et 65% de tabac. Une majorité des patients avaient au moins 2 addictions.
Sur les 91 patients dépistés PCR positive du VHC, 78 % ont pu débuter un traitement avec une éducation thérapeutique. Si 18 % ont été perdus de vue après le début du traitement, les 82% restants ont éradiqué le VHC, ce qui représente un taux élevé de guérison virologique avec cette pratique « hors les murs ».
Parmi les patients non traités, 9 n’avaient pas de droits sociaux, 2 ont refusé le traitement et 9 ont été perdus de vue avant le début du traitement.
Dépistage du VHC chez des patients en psychiatrie
Deux études plus anciennes (4) donnaient des prévalences élevées de VHC en unités de psychiatrie, entre 6,8% et 8,5%, dues probablement à des facteurs de risque importants pour cette population (addictions diverses, pas de dépistage).
Pour cette étude (5), les auteurs ont comparé la prévalence et le lien vers les soins en psychiatrie et en médecine interne. L’unité de psychiatrie du Carilion Roanoke Memorial Hospital admet environ 2 000 patients par an, dont plus de 75% souffrent de troubles liés à l’utilisation de substances comme diagnostic primaire ou secondaire.
Durant la période de début avril 2018 à fin mai 2019, 1 158 patients hospitalisés en psychiatrie et 2 877 patients hospitalisés en Médecine Interne ont donné le consentement et été dépistés pour le VHC dans cet hôpital de Virginie.
La prévalence trouvée (charge virale VHC positive) était de 7,1% en psychiatrie et de 1,1% en médecine interne.
Parmi ces patients psychiatriques, autant d’hommes que de femmes, 50% étaient âgés de moins de 35 ans (hospitalisation pour addiction, psychose, tentative de suicide), 30 % étaient âgés de 35-60 ans (alcool, dépression) et 20% étaient âgés de plus de 60 ans (démence, altération cognitive ou dépression).
Seulement 21% des patients psychiatriques étaient pris en charge pour le VHC (évaluation de la fibrose et traitement), contre 70% pour les patients hospitalisés en Médecine Interne.
Cette étude montre de nouveau la forte prévalence du VHC chez des patients hospitalisés en unité de psychiatrie. L’accès aux soins (dépistage et traitement) du VHC est plus difficile au sein de cette population de malades psychiatriques par rapport aux autres populations de malades, par manque d’informations, manque de liens entre spécialistes et mauvaise ou absence de prise en charge des soins.
Marianne L’HENAFF Décembre 2019
Références
(1) – Roudot-Thoraval F, Paris, AASLD 2019, Abs. 1566
(2) – Debette-Gratien M, Limoges, AASLD 2019, Abs. 1614
(3) – Larrey D, Montpellier, AASLD 2019, Abs. 1574
(4) – Dinwiddie S. H. et al. (2003). « Prevalence of hepatitis C among psychiatric patients in the public sector. » Am J Psychiatry 160(1):172-174.
– Schaefer M. et al. (2007). « Hepatitis C treatment in « difficult-to-treat » psychiatric patients with pegylated interferon- alpha and ribavirin: response and psychiatric side effects. » Hepatology 46(4):991-998.
(5) – Kesar V, Etats-Unis, AASLD 2019, Abs. 539