Essai de PrEP de l’ANRS : position de TRT-5 et points de vigilance
A l’occasion de la publication du rapport de synthèse de la consultation communautaire menée au printemps 2010 sur cet essai, et alors que les investigateurs débutent le processus de mise en place de sa phase de faisabilité, TRT-5 souligne la place qu’il entend occuper dans le projet et les points à propos desquels il appelle à une vigilance particulière.
Points forts Le groupe interassociatif TRT-5 – quittera prochainement le groupe d’élaboration du projet d’essai, afin de retrouver une place plus habituelle de « vigilance extérieure », en matière d’adéquation de la recherche aux besoins des personnes et de défense des intérêts et des droits des participants à la recherche ; – demande que les chercheurs et l’ANRS apportent des réponses aux préoccupations exprimées lors du processus de consultation communautaire, ainsi qu’aux propositions et recommandations issues de ce travail ; – ne s’oppose pas au schéma actuel de l’essai, qui comporte un bras « dispositif global de prévention + placebo » et un autre « dispositif global de prévention + traitement antirétroviral » ; – a obtenu la création d’une instance originale de participation associative à l’essai, qui s’ajoutera à celles déjà existantes (Comité de pilotage, Conseil scientifique, Comité indépendant, voir annexe) ; – sera particulièrement vigilant à la qualité de l’information apportée aux communautés, aux associations et aux participants potentiels, et aux conditions d’un consentement libre et éclairé à participer. Préambule : où en est-on de l’élaboration de l’essai de PrEP ?Depuis le printemps 2009, un groupe de chercheurs et de cliniciens français et québecois, ainsi que des représentants de collectifs d’associations de lutte contre le sida (TRT-5 et la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida[[En abrégé, COCQ-Sida (www.cocqsida.com)]]) travaillent à l’élaboration d’un protocole d’essai de traitement antirétroviral en prophylaxie pré-exposition (PrEP). A l’occasion de la publication des résultats de l’essai international de PrEP « iPrEx »[[L’essai iPrEx, mené auprès de 2499 personnes, a montré une réduction de 43.8% du risque d’acquisition du VIH chez des HSH qui prenaient chaque jour par voie orale la combinaison tenofovir-emtricitabine ou un placebo. Voir www.globaliprex.com et www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1011205]], l’ANRS a annoncé qu’elle sera, dès 2011, le promoteur d’une étude menée en France et au Québec auprès d’hommes séronégatifs ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, sexuellement exposés au risque d’acquisition du VIH. Son objectif est d’évaluer l’efficacité d’une stratégie de prévention comprenant une combinaison antirétrovirale prise « à la demande » pour réduire le risque d’acquisition du VIH. La prise du médicament s’accompagnera d’un dispositif plus large de dépistage réitéré du VIH, de diagnostic et traitement des autres IST et d’un soutien dans l’élaboration des stratégies de prévention (« counseling »). La spécificité par rapport aux essais déjà en cours dans le monde est que la stratégie évaluera l’efficacité d’une « PrEP intermittente », où la prise d’antirétroviraux aurait lieu « à la demande », avant et après la période d’activité sexuelle, là où les autres essais évaluent un traitement de prophylaxie pris chaque jour. Pour montrer l’efficacité de la stratégie, l’essai devra recruter au moins 1500 participants, et plutôt 1800 ou 2000. L’étude devrait se dérouler en deux phases. La première, une phase « pilote » ou « de faisabilité », visera à recruter 500 hommes et devrait débuter à l’été 2011 à Paris, Lyon et Montréal. Elle devrait se terminer en juin 2012. La deuxième phase d’extension des inclusions dépendra du déroulement de la première phase, et probablement des autres essais de PrEP actuellement en cours. Par ailleurs, le financement du projet n’est pas assuré dans son intégralité – l’ANRS cherche actuellement des fonds, tant publics que privés, pour pouvoir mener, le cas échéant, la deuxième phase.
I – Le schéma (design) de l’essai
Les résultats des essais CAPRISA 004 et iPrEx ont montré que les antirétroviraux peuvent être efficacement utilisés pour réduire les risques d’acquisition du VIH. Malgré tout, l’efficacité protectrice démontrée à ce jour est assez faible, ce qui confirme la nécessité de poursuivre les recherches, dans le but de déterminer des stratégies plus efficaces. Ces stratégies de PrEP, on le sait désormais, seront fondées à la fois sur l’usage des antirétroviraux et sur la fourniture aux personnes d’un dispositif plus global de prévention (en particulier dépistage réitéré du VIH, dépistage, diagnostic et traitement des autres IST et soutien dans l’élaboration des stratégies de prévention et l’observance – « counseling »). L’essai proposé par l’ANRS est fondé sur un dispositif global de ce type. Il vise à évaluer son efficacité dans deux groupes de personnes : l’un à qui sera également administrée une bithérapie antirétrovirale, l’autre un placebo. Le maintien de ce schéma a été discuté au sein du Comité de pilotage de l’essai à la suite de la publication des résultats d’iPrEx. Lors de ces discussions, TRT-5 ne s’est pas opposé à ce maintien. Cette position ne préjuge pas de l’évolution que pourra connaître le positionnement des associations membre du TRT-5 dans la suite du déroulement du projet. TRT-5 souligne que le choix d’un tel schéma a soulevé de nombreuses discussions et interrogations, tant en son sein que lors de la consultation communautaire.
En tout état de cause, le choix de ce schéma implique de la part des chercheurs un important travail d’explicitation et de pédagogie sur sa justification scientifique. Par ailleurs, dans un essai évaluant l’efficacité d’une méthode de prévention partielle et dont un des critères d’évaluation est la comparaison du nombre de séroconversions dans chacun des deux bras, TRT-5 rappelle la nécessité de mettre en place un dispositif rapproché de surveillance de la sécurité des participants à l’essai. TRT-5 demande que soit conservée la possibilité de faire évoluer le schéma de l’essai au cours du temps, en fonction de son déroulement et de l’état des connaissances scientifiques.
II – TRT-5 et l’essai de PrEP
1. Participation à l’élaboration du projet : une place inédite
Quand TRT-5 a accepté la proposition faite par les investigateurs de s’engager dans le travail d’élaboration de ce projet d’essai, son champ d’action était encore limité aux traitements, à la recherche thérapeutique et à la prise en charge médicale du VIH. Il n’était pas évident qu’un collectif interassociatif de défense des intérêts des personnes vivant avec le VIH s’engage dans ce chantier de recherche en prévention biomédicale, surtout au sein du groupe d’élaboration de l’essai, position inédite pour lui à ce jour. En effet, l’implication de TRT-5 dans la recherche est habituellement de deux ordres : – une participation à l’animation de la recherche, qui vise à promouvoir les besoins des séropositifs dans le cadre des projets de recherche, mais ne passe pas par la participation directe à leur élaboration ; – une veille éthique, qui a pour objectif de s’assurer de la protection des intérêts et des droits des participants aux recherches. C’est l’importance de l’enjeu, le caractère innovant du projet (prévention avec du traitement antirétroviral) et l’importance d’y travailler en interassociatif qui ont justifié l’engagement des associations membres de TRT-5. TRT-5 a participé au travail du groupe d’élaboration de l’essai, au groupe de travail sur le « counseling » et l’accompagnement des participants, à celui sur le recueil des données socio-comportementales, enfin au groupe récemment mis en place pour définir la stratégie d’information et de communication sur l’essai. Par ailleurs, AIDES, association membre de TRT-5, participe au Comité de pilotage de l’essai, spécifiquement sur la conception du volet « counseling et accompagnement des participants à l’essai ». AIDES participe également au groupe de travail sur l’information et la communication liées à l’essai. Elle devrait être co-investigatrice de la recherche, co-opératrice du projet de recherche et participera au processus de recrutement des volontaires.
2. La consultation communautaire
Pour être en capacité de faire valoir les besoins et les intérêts des personnes concernées, TRT-5 a impulsé et coordonné la mise en place d’un dispositif d’information et de consultation de la communauté gay, dans le but de recueillir les avis, les remarques et les commentaires des personnes concernées par l’essai, mais aussi issus d’organisations gays/LGBT et de lutte contre le VIH/sida. La consultation communautaire s’est déroulée au printemps 2010. Le rapport de synthèse de ce processus est rendu public ce jour. TRT-5 estime que les chercheurs et l’ANRS doivent apporter des réponses aux préoccupations exprimées lors du processus de consultation communautaire, ainsi qu’aux propositions et recommandations issues de ce travail. Transmis au Comité de pilotage de l’essai et à la Direction de l’ANRS, ce rapport a ainsi vocation à constituer une base de discussion sur les éléments du protocole restant à définir, ainsi que sur les étapes de mise en œuvre de l’essai. Ceci passe notamment par une démarche de pédagogie et d’explicitation des choix opérés en termes de schéma de l’essai[[Voir, plus bas, le point 1) de la troisième partie.]].
3. A l’avenir, retour à une place plus habituelle
Jusqu’à présent, TRT-5 a tenu une position double vis-à-vis de ce projet : engagé dans le groupe d’élaboration du projet d’essai tout en coordonnant l’organisation d’une consultation communautaire « sans a priori sur la pertinence de celui-ci ». On l’a dit, ce projet d’essai est le premier à l’élaboration duquel TRT-5 participe directement. Cette double position a été interrogée lors des rencontres de la consultation communautaire. De même, une certaine incompréhension est née du souhait affiché par TRT-5 de ne pas afficher de position sur le fond de l’essai, ou de l’absence de positionnement de ses associations membres, à l’exception de AIDES. TRT-5 se devait de tenir cette position de réserve pour permettre la libre expression des personnes participant à la consultation. Plus globalement, il a pour usage de ne pas prendre publiquement position sur les projets de recherche mis en place, par des promoteurs publics (ANRS…) ou privés (laboratoires pharmaceutiques), sauf pour émettre des critiques, voire les dénoncer. Les associations membres de TRT-5 ont décidé du retrait du collectif du groupe d’élaboration du projet d’essai, afin qu’il retrouve une place plus habituelle de « vigilance extérieure », en matière d’adéquation de la recherche aux besoins des personnes et de défense des intérêts et des droits des participants à la recherche.
III – Quelques points de vigilance pour les prochains mois
1. Suites données à la consultation communautaire et information des acteurs : une première réunion d’information le 19 février à Paris
TRT-5 plaide depuis plusieurs mois pour l’engagement d’une démarche d’information des acteurs associatifs de lutte contre le VIH/sida et gays/LGBT sur le processus de travail en cours et les perspectives à venir. Une première étape sera franchie avec l’organisation, par l’ANRS, en février prochain, d’une première rencontre d’information sur le projet, à destination d’acteurs associatifs. Ses objectifs : – informer des acteurs associatifs de la lutte contre le VIH/sida et gays/LGBT sur la décision de l’ANRS de mener ce projet ; – présenter les données issues de la consultation communautaire et discuter de leur appropriation et de leur prise en compte par les chercheurs et l’ANRS; – présenter et discuter le protocole de l’essai ; – envisager les prochaines étapes de travail sur sa finalisation et la mise en œuvre de l’essai. Elle se tiendra en présence de Jean-François Delfraissy, directeur de l’ANRS, et de chercheurs impliqués dans l’essai, le samedi 19 février à l’Hôtel de Ville de Paris.
2. Participation associative à l’essai : création d’une instance originale
Aux yeux du TRT-5, la participation associative à l’essai PrEP ne pourra se limiter à une représentation habituelle des intérêts des sujets de la recherche biomédicale, mais devra au contraire être multiforme. D’une part, un essai sur un outil biomédical de prévention chez des gays doit faire intervenir d’autres parties prenantes que des associations de défense des intérêts des séropositifs, qui sont habituellement les interlocuteurs des chercheurs : autres associations de lutte contre le VIH/sida, associations gays et LGBT. D’autre part, les positions occupées par les acteurs associatifs dans l’essai seront probablement différentes : co-opérateur de la recherche, contributeur à la diffusion de l’information sur l’essai, contributeur au recrutement, contributeur au suivi des participants, vigile… Ces spécificités nécessitent l’implication et l’acculturation à la recherche de nouveaux acteurs, ainsi que la définition précise des rôles et responsabilités de chacun. En vue d’une représentation élargie des intérêts des futurs participants à l’essai, TRT-5 a obtenu de l’ANRS la création d’une instance de participation associative à l’essai. Elle s’ajoutera aux instances existant habituellement dans les essais (Comité de pilotage, Conseil scientifique, Comité indépendant, voir annexe). TRT-5 souhaite que cette instance, dont les rôles et responsabilités restent à définir, soit mise en place rapidement, pour permettre l’implication de nouveaux acteurs associatifs dans le processus de réflexion sur la finalisation du protocole et la mise en œuvre de l’essai (information des acteurs, communication sur le lancement, information et consentement, recrutement…).
Il est probable que cette instance réunira des associations qui occuperont des positions différentes dans l’essai ; TRT-5 propose de faire partie de ce groupe. Il conviendra d’assurer un lien fort entre cette instance et la représentation associative au sein de l’actuel Comité de pilotage ou de l’instance qui pourrait le remplacer dans les prochains mois, ainsi qu’avec les autres groupes de travail de l’essai (« Communication et communautés » notamment). 2. Autres points de vigilance
Parmi les autres points de vigilance qui seront les nôtres dans les prochains mois, on peut identifier : – l’information et le consentement des futurs participants, en raison des incertitudes sur l’efficacité de la PrEP, de la relative méconnaissance des enjeux de recherche par les associations et les personnes. La qualité de l’information des acteurs et des participants potentiels est une étape essentielle, qui recèle déjà des enjeux éthiques. – le volet « observance de la prise des médicaments » de l’essai est un enjeu essentiel de réussite d’une stratégie de PrEP[[Les résultats de l’essai iPrEx montrent une association entre le niveau d’observance et l’efficacité de la stratégie.]] comme l’ont montré les résultats de l’essai iPrEx ; – la tolérance et les effets indésirables ; – la préparation de l’après-essai, dimension essentielle, y compris dans l’information dispensée aux participants potentiels, avant même le lancement de la phase pilote. Conclusion
Comme nous l’avions fait au moment de la sortie des résultats de l’essai iPrEx, TRT-5 invite les associations de lutte contre le sida et gay et LGBT à s’impliquer dans la réflexion sur cet essai de PrEP. Plus globalement, TRT-5 invite les associations issues des groupes les plus exposés au VIH à s’engager dans la collaboration avec les chercheurs et l’ANRS sur ces projets, pour que les besoins des personnes concernées soient pris en compte.
En guise d’annexe – Les associations au sein de l’essai PrEP
Comité de pilotage (groupe d’élaboration)
TRT-5 s’apprête à laisser sa place au sein du groupe d’élaboration (ou « Comité de pilotage ») de l’essai, instance à ce jour centrale de l’essai ; notre collectif y était représenté par deux personnes. L’échéance de fin de notre participation n’a pas encore été fixée. Outre AIDES, qui y participe en tant que co-opérateur de la recherche, deux associations ont été sollicitées par l’ANRS pour y participer : le SNEG et l’Inter-LGBT. Les rôles et la composition de ce groupe pour l’avenir doivent être discutées avec l’ANRS, en lien avec la création d’un Conseil scientifique. Il conviendra que les associations s’accordent sur leur mode de participation. Groupe « Communication et communautés »
Ce groupe est chargé de la définition de la stratégie d’information et communication sur l’essai, d’ici au lancement de sa phase pilote, mais aussi durant son déroulement. C’est lui qui est en charge de l’organisation de la première réunion d’information aux associations, prévue pour se tenir le 19 février. TRT-5, le SNEG et AIDES y participent actuellement. La place du TRT-5 sera probablement à reconsidérer dans les prochains temps, notamment une fois que cette réunion se sera tenue. Conseil scientifique
Comme l’ensemble des essais biomédicaux de l’ANRS, l’essai de PrEP sera conduit sous la responsabilité d’un Conseil scientifique. Il est nécessaire que, conformément aux usages en vigueur au sein de l’Agence, cette instance comprenne une représentation des intérêts des participants à la recherche. Comité indépendant
Comme l’ensemble des essais biomédicaux de l’ANRS, la protection de la sécurité des participants à l’essai de PrEP sera assurée par un Comité indépendant. Il est nécessaire que, conformément aux usages en vigueur au sein de l’Agence, cette instance comprenne une représentation des intérêts des sujets de la recherche. TRT-5 propose d’ores et déjà d’en faire partie, en lien avec d’autres acteurs, conformément à sa mission de protection des intérêts et des droits des participants à la recherche.